Dans ce texte, je fais parler l'envie, la paresse, l'insatisfaction, la convoitise. Je fais parler l'ogresse, la Croquemitaine, la jalouse, l'opportuniste, la dépendante affective, la bouffeuse d'âmes. Je fais parler la partie de nous qui souhaite ce qu'il y a dans l'assiette des autres. La partie de nous qui dénigre son voisin par pur besoin de mesquinerie.
Je fais parler celle qui n'a pas de vie... Et qui en voudrait une sans faire d'efforts..
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J’ai faim…
J’attends… J’attends encore ce soir, comme j’attends tous les soirs, comme j’attends depuis toujours. Tremblante de fatigue, noyée de café et de fumée, je n’ai même plus la force de tourner en rond, de me laver, de me coiffer.
J’ai faim...
Je n’ai pas de vie. Et je ne sais pas comment m’en cuisiner une. C’est trop compliqué d’en cuisiner une. Je voudrais commander mais ce que je veux n'a pas de prix. Et on ne livre pas à domicile. Je suis vide. Vide, comme ma cafetière, comme mon estomac. J’ai sorti le cognac, je fume les mégots de cigarettes qui remplissent mon assiette, voisinant les croutes de pains séchées, car le dépanneur n’est pas ouvert à cette heure pour en acheter d’autres. Mais ces croutes ne me servent qu’à subsister en attendant...
Parce que j'ai faim! Et je sais trop bien que je ne suis pas la seule à ressentir ce genre de faim.
Le monde a faim!
Le ventre du monde grouille, gargouille, gronde, crie, se contracte, s’ulcère. Le monde a faim. Le petit monde braille quand son assiette est vide, le grand monde chiale quand la sienne est fade…
Ensuite, on ose juger une femme comme moi…



Je sais que chez le petit monde, le désespoir donne vie à la faim. La faim devient vivante. Elle s’incarne et pleure et parle et souffre. Mais j'imagine que de temps à autre, un enfant différent des autres se réveillera avec une douleur plus grande que celle de son estomac. Celui-là voudra remplir sa faim de vivre, trouver une raison autre d’exister que celle de son assiette de carton. Celui là comprendra que la faim de l’âme est bien plus grande que celle du corps.
Il m'arrive de souhaiter ce genre de faim...
Les gardes mangers ne sont pas toujours vides, parfois la faim vient du désir de goûter à autre chose…
Entre le grand monde et le petit monde, il n’y a pas tant de différence.
C’est toujours la faim qui a le dernier mot.

